C’est le thème de ce nouvel et antépénultième (enfin nous l’espérons…) nouveau film de Claude Lelouch ….Comme toujours il jette sur l’écran dans les dix premières minutes une foultitude de personnages, dont on ne saisit pas les liens qui pourraient éventuellement les réunir…Et ce n’est qu’au bout de quelques temps qu’on les voit se rapprocher pour en arriver à se rejoindre et finalement se confondre dans les mêmes histoires, les mêmes problèmes, et ceci quelques soient par ailleurs leurs milieux, leurs métiers ou leurs positions sociales….
On connaît la manière de travailler de Claude Lelouch: dans tous ses films le scénario est écrit à la façon d’un canevas et c’est au cours du tournage qu’il « lâche ses acteurs » en leur laissant fréquemment la liberté de s’exprimer…..C’est toujours un exercice périlleux mais cela nous a effectivement valu quelques moments de cinéma inoubliables……
Durant toute sa carrière, Claude Lelouch n’aura cessé d’alterner les succès éclatants et les échecs les plus cuisants…..
Ce fut à chaque fois imprévisible, inexplicable, et à chaque fois il se sera retrouvé au bord du précipice…..Alternant les films à gros budget qui l’auront souvent déçu avec des films aux prétentions plus modestes mais qui souvent l’auront obligé à des prodiges d’inventivité et de trouvailles, il en tire la conclusion définitive : » C’est dans les difficultés, dans la souffrance et dans les contraintes que l’on a le plus de talent »…..Sans doute le bonheur et le confort ne sont ils pas des états qui prédisposent à se surpasser et à se transcender…..Pourquoi le ferions nous ?…..Ce n’est effectivement pas dans la béatitude et le cocon des existences trop protégées ou épargnées que s’accomplissent les grandes choses ou que se réalisent les grands projets…..Claude Lelouch nous l’a martelé: les « emmerdes » sont un moteur dont les véritables créateurs ne sauraient se passer !…
Entre les balbutiements de ses débuts, le triomphe de « Un Homme et une Femme » , les désastres de « La Belle Histoire » ou de « Edith et Marcel »….Des petites merveilles comme « Tout ça pour ça » ou « Robert et Robert » avec des scènes tournées à l’économie mais devenues cultes…..
Et puis aussi cet « Itinéraire d’un enfant gâté »….que nous devons à la rencontre de Claude Lelouch et de Jean Paul Belmondo à un moment de leur existence où aux abords de la cinquantaine, ils ont éprouvé tous deux la tentation de tout lâcher et de partir très loin pour tout oublier….. Parce que ces films sont tous des instants de vie « captés » avec cet oeil exceptionnel qui fait son originalité, Claude Lelouch a laissé une oeuvre dans laquelle tous ses contemporains ressentent l’impression que c’est leur propre vie qui a été filmée….Les rapports entre hommes et femmes , l’histoire de ce siècle écoulé, celle des nations qui se combattent, qui se déchirent mais qui finissent par se retrouver dans les mêmes idéaux….La ronde des hommes toujours soumis aux même lois du pire et du meilleur qu’ils portent en eux……Tout cela, Claude Lelouch l’aura disséqué et porté sous forme d’images inoubliables et bercées au son de musiques ou de mélodies de Francis Lai devenues éternelles…..Ecouter ces thèmes, c’est déjà revoir le film, et à chaque fois le miracle se renouvelle !
La pléiade d’acteurs que Claude Lelouch aura fait tourner est absolument exceptionnelle……C’est tout le cinéma français de ce demi siècle qui sera passé sous la caméra de Claude Lelouch……A l’exception de Jean Gabin qui disparaîtra juste avant de pouvoir reconstituer son duo avec Michèle Morgan dans « Le chat et la Souris » ( Remplacé par Serge Reggiani) et de Patrick Dewaere dont le suicide est intervenu le jour où il avait déjeuné avec Claude Lelouch dans le cadre du projet de « Edith et Marcel »……Pour le reste peu d’actrices, peu d’acteurs auront échappé à son oeil et à sa caméra….Certains mêmes qui n’étaient pas des têtes d’affiches ou réputés comme tels, auront eu l’occasion l’espace d’une séquence d’atteindre de véritables sommets de cinéma, tel Paul Préboist qui dans le long monologue qui sert de prologue à « Il y a des Jours…et des Lunes » se livre à une performance exceptionnelle pour nous faire partager et prendre conscience de tant d’interrogations et de questionnements qui se posent à nous tous……
Pendant des décennies entières, la critique aura été d’une cruauté inouïe avec Claude Lelouch….Elle l’aura étrillé, agressé et pour tout dire assassiné pratiquement à chaque film au point d’en avoir fait une mode…..On ne pouvait décidément pas être un cinéphile averti sans « bouffer » du Lelouch à chaque repas……Pire encore, le simple fait d’affirmer que vous aimiez le cinéma de Lelouch vous valait à coup sûr d’être considéré comme un béotien, autant dire un nul et d’être mis à part comme un contagieux….. Sans doute ce langage qui s’adressait au coeur était il trop simple et même trop rudimentaire pour satisfaire la boulimie d’ésotérisme à deux balles qui fût et qui demeure sans doute l’apanage d’un parisianisme un peu systématique où l’on préférera toujours les films qui enquiquinent, les messages abscons d’oeuvres aux intentions parfois si cachées qu’elles sont indiscernables , les dégoulinantes litanies de films où il ne se passe rien en dehors de l’expression d’ états d’âmes morbides, et où la violence tient lieu de de ressort tandis que tout le reste se résume à un lancinant somnifère…….
Pour ma part je vous avouerai que j’aime Claude Lelouch, autant que j’apprécie Claude Chabrol, Bertrand Tavernier, Louis Malle et bien d’autres encore….
J’aime Claude Lelouch, parce qu’il nous raconte sa vie, certes et nous fait découvrir les fins fonds de l’âme et du coeur humain sur fond d’images exceptionnelles, dans des situations où nous finissons toujours par nous reconnaître…Sans doute cela devenait il insupportable à certains…. Et la critique n’aura jamais manqué de le lui faire savoir…….Certes il y a dans ses films des procédés, certaines complaisances avec lui même, mais elles interviennent un peu comme des défis qu’il se lance, comme pour s’amuser autant que vérifier si cela passe encore !…..Combien de fois entendrez vous dans ses films un personnage placer à tous les vents et sur tous les tons cette phrase devenue incontournable : « Les plus belles années d’une Vie sont celles que l’on n’a pas encore vécues »…..Cela devient un jeu, une marque de fabrique, mais ça n’empêche aucunement le miracle de s’accomplir…….Et puis son penchant à raconter plusieurs histoires en parallèle sans que l’on comprenne très bien le lien qui les unit jusqu’à finir par les faire se rejoindre…..Tout cela agaçait, surprenait…..Beaucoup n’y comprenaient rien mais n’était ce pas à l’image de la Vie où les destins n’en finissent pas comme les astres ou les étoiles de se rapprocher, de se croiser pour se reperdre à nouveau avant qui sait de se rejoindre un jour ?…..
Les années 2000 ont ouvert pour Claude Lelouch et de son propre aveu sur une période d’années galères…..Le film » And now Ladies and Gentlemen… » avec Patricia Kaas pourtant éclatante dans ce qui pourrait être son propre rôle a fait un flop…..Claude Lelouch conçoit alors ce qui aurait dû être une trilogie sur le thème du « Genre Humain »…..Le projet se conclura par la sortie des « Parisiens » et du « Courage d’Aimer »……A ce moment précis, et alors qu’il devient septuagénaire Claude Lelouch touche véritablement le fond……C’était sans compter sur son incroyable faculté à rebondir et à nous surprendre……
En 2006, on apprend qu’un film est en cours de réalisation par un certain Hervé Picard, totalement inconnu….Une histoire policière annoncée sous le titre énigmatique de « Roman de Gare »….C’est à sa sortie que le mystère est dévoilé…..Hervé Picard n’a jamais existé et Roman de Gare n’est rien d’autre que le dernier film de Claude Lelouch…..Une façon de faire un pied de nez à la critique qui n’aurait pas manqué de tuer son film avant même qu’il sorte…..Effectivement, le film connaît un succès tout à fait honorable…..
Claude Lelouch venait de transposer au cinéma l’histoire de Romain Gary , le romancier qui en se dissimulant sous le nom d’Emile Ajar avait réussi à remporter deux fois le Prix Goncourt en 1956 et en 1970….Une fois sous son nom propre, une autre fois sous un nom d’emprunt…..Certes Claude Lelouch n’aura pas remporté une deuxième fois la Palme d’Or du Festival de Cannes avec « Roman de Gare »….Tout du moins son pseudonyme lui aura peut être évité que la critique lui démolisse son film avant même qu’il sorte !……
Pendant cinq ans, Lelouch s’est fait silencieux……Puis est venue l’annonce de « D’un Film à l’Autre »….ce film n’apportait rien à tous ceux qui connaissaient le cinéaste depuis 50 ans déjà…..Ils y ont retrouvé un long documentaire regroupant ses scènes cultes avec la voix off du réalisateur….Emotion garantie en tous cas aux retrouvailles avec Annie Girardot, Philippe Léotard, Lino Ventura, Jacques Brel et tant d’autres encore……Pour les plus jeunes l’occasion de le découvrir et de se mettre « à jour » en quelque sorte……
En écoutant la présentation de Claude Lelouch, nous avons tous cru, et nous avons tous craint qu’il s’agisse d’un point final, d’une sorte de film d’adieu en forme de table des matières……
C’est alors qu’en forme de défi malicieux, Claude Lelouch nous a annoncé la sortie pour Octobre 2011 d’un nouveau film « Le Chemin de l’Orgueil »…..Une sorte de mise à jour et d’ actualisation de « l’Aventure c’est l’Aventure » mais à la mode du XXI° siècle (je cite ses paroles) : » Des cons de notre temps, plein de cons, des jeunes et des vieux ….Des cons de cette époque où l’on ne peut plus rien dire à force de se croire libre et où le ricanement a remplacé le rire « . .Ce film ne vit jamais le jour ….
Il fut supplanté par « Salaud on t’aime », « Un »+Une » puis le tout récent « Chacun sa Vie » qui nous révèle à quel point nos « Jardins Secrets » à tous se ressemblent et restent mitoyens quand ils ne se chevauchent pas !….
Monsieur Lelouch, ne vous gênez surtout pas…..Mais n’oubliez pas de revenir vers nous avec ces morceaux d’émotions dont vous avez le secret et qui font que ce sont nos Vies qui défilent au travers des personnages de vos films…..Je ne vous ai jamais rencontré, alors comment faites vous pour raconter des histoires qui ressemblent à celles que j’ai vécues?…..Je ne dois pas être le seul d’ailleurs si j’en juge par les quelques yeux humides que j’ai cru discerner lorsque lac salle s’est rallumée à la fin de votre dernier film !……Tant mieux, je me suis senti tout à coup un peu moins bête!
En tous cas, Merci Monsieur Lelouch pour la ballade…..Et pour la prochaine, c’est quand vous voudrez!……